La civilisation féodale De l’an mil à la colonisation de l’Amérique


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Auteur : Baschet Jérôme
Ouvrage : La civilisation féodale De l’an mil à la colonisation de l’Amérique
Année : 2004

Remerciements
Ce livre est le fruit de cinq années d’enseignement à
l’Universidad Aut6noma de Chiapas, à San Crist6bal de
Las Casas (Mexique). Je so11haite remercier ceux qui ont
rendu possible ce séjour, et tout particulièrement Jacques
Revel, président de l’École des hautes études en sciences
sociales, qui a bien voulu considérer avec une bienveillance
constante un projet qui n’avait pas nécessairement toutes
les apparences de la raison. Jorge L6pez Arévalo a eu l’ amabilité
de m’inviter à la Facultad de Ciencias Sociales de la
UNACH, dont il était alors le directeur, et m’y a accueilli
avec générosité. Ce travail a bénéficié de l’ appui du Consejo
Nacional para la Ciencia y la Tecnologia, durant les années
1997-1999. Enfin, ce livre n’aurait pas pris for111e si l’ enseignement
dont il est issu n’avait été reçu avec attention par
les étudiants en histoire de la UNACH. À tous, embarqués
dans cette traversée à rebours de l’Atlantique, j’adresse mes
plus vifs remerciements, pour leur patience comme pour
leurs impatiences, pour leur enthousiasme comme pour
leurs doutes, qui m’ont aidé à donner sens à l’étude du A Moyen Age en terres mexicaines.
Le genre dont relève ce livre – qu’on le nomme synthèse
ou compilation – suppose de nombreux emprunts,

volontaires le plus souvent, peut-être involontaires parfois.
La bibliographie allégée et l’absence de notes ne permettent
malheureusement pas de relier systématiquement
chacun des propos avancés dans le texte aux auteurs des
travaux concernés. Même s’il est douteux que cela puisse
être de quelque utilité, j’offre par avance mes sincères
excuses à quiconque pourrait se sentir oublié ou trahi.
À mes guides principaux dans cette entreprise, je dois
une reconnaissance particulière. Jacques Le Goff, maître
incontesté, en est l’inspirateur par excellence et a ouvert la
plupart des chemins suivis ici : qu’il ait bien voulu considérer
que le résultat n’était pas trop indigne n’a pas peu
contribué à déjouer mes scrupules, au moment de destiner
ce livre à ses lecteurs. Anita et Alain Guerreau, par
leurs écrits et par de nombreuses discussions, m’ont
transmis les concepts essentiels et le cadre interprétatif
dont le présent ouvrage se réclame: s’il possède un tant
soit peu de cohérence, c’est à eux qu’il le doit. JeanClaude
Bonne et Jean-Claude Schmitt, dans la stimulante
amitié desquels je me suis formé à l’étude du 1v1oyen Age
et de ses images, savent que les idées exposées ici sont bien
souvent les leurs, avant d’être les miennes. À Jean-Claude
Schmitt, je dois en outre des remerciements tout
particuliers: non seulement mes années mexicaines n’ont
pas réussi à entamer sa confiance, mais encore a-t-il eu à
coeur de détourner ce livre de sa destination latino-américaine
initiale pour le confier aux éditions Aubier, où
1v1onique Labrune a bien voulu l’accueillir avec un intérêt
attentif et où Hélène Fiamma l’a fait bénéficier de ses
soins bienveillants. J’aurais aimé pouvoir citer tous les
amis et collègues, dont les travaux et les propos ont
accompagné et orienté mon cheminement: ce livre leur
doit beaucoup, mais la liste serait ou bien trop longue ou
bien trop courte.

Juan Pedro Viqueira s’est très aimablement préoccupé
du devenir mexicain de ce livre. Ses remarques judicieuses
ont permis de l’amender et surtout de réduire, dans la
mesure où j’ai pu suivre ses conseils, les défaillances de
mes allusions à l’histoire de la Nouvelle-Espagne.
Jean et Claudine ont été les cobayes de cette initiation
au Moyen Age et l’ont infléchie par leurs commentaires
avisés, dont ils ont fait bruisser jusqu’à l’épaisse nuit de la
jungle de Tikal. Enfin, sans Roc{o Noem{, qui a bouleversé
le sens de mon escapade chiapanèque, ce livre
n’aurait jamais vu le jour. Sans Vincent, né de cette rencontre,
il aurait sûrement été écrit plus vite, mais avec
infiniment moins de bonheur.

 

 

INTRODUCTION

L’EUROPE MÉDIÉVALE,
VIA L’AMÉRIQUE
Avertissement au lecteur en forme d’éloge du détour
Commençons par rassurer le lecteur, peut-être
perplexe: ce qu’il tient entre les mains est bien un livre
d’histoire de l’Occident médiéval. Il présente cependant
quelques particularités que l’on ne peut exposer sans se
livrer à un bref détour personnel. Au reste, comme on le
comprendra sous peu, c’est bien de détour qu’il s’ agit. On
voudrait en effet, sans pour autant rompre l’engagement
à peine scellé, préparer le lecteur à une étrange boucle
atlantique, l’inviter bientôt à quitter les rivages de la
vieille Europe pour une traversée aussi incertaine que celle
des caravelles de Christophe Colomb. Prenons donc pied
de l’autre côté de l’océan, dans l’Amérique que l’on dit
latine, pour nous interroger, depuis cette position singulière,

sur un Moyen Age où l’on croit pouvoir situer les
prémices de la domination occidentale, progressivement
étendue à l’ensemble de la planète.
Un tel projet ne se serait pas formé sans l’expérience
d’un déplacement imprévu: celle d’un médiéviste au
Mexique, confronté à un présent turbulent et à la

remuante actualité des mouvements sociaux indigènes.
On n’aura pas la prétention d’invoquer Aby Warburg,
délaissant les fêtes florentines de la Renaissance pour les
rituels des Indiens du Nouveau-Mexique. Mais peut-on
imaginer, à sa suite, que le déplacement spatial se transforme
en régression temporelle ? Univers composite, le
Chiapas permet d’éprouver, par certains aspects, les effets
d,une société encore majoritairement rurale, dont les
valeurs sont imprégnées, selon des modalités diverses, par
la revendication de la tradition et l’attachement à la terre,
ainsi que par un christianisme aux formes parfois déconcertantes.
On peut, par exemple, y être frappé par la persistance
d’un temps lent et flexible, en partie insensible à
la tyrannie de la mesure horaire et de ses contraintes pressées.
Les rythmes de l’histoire y paraissent également
désaccordés : jusque dans les années 1970, les grands
domaines (fincas), tout en étant articulées à une logique
globale capitaliste, mettaient en oeuvre en leur sein des
formes d’exploitation de type féodal, imposant un attachement
au sol et associant étroitement le pouvoir sur les
terres et le pouvoir sur les hommes ; aujourd’hui encore,
leurs fantômes hantent les esprits et mobilisent l’énergie
revendicative des mouvements sociaux. On n’en finirait
pas de commenter par combien de manières on peut percevoir,
au Chiapas comme en d’autres lieux, un court-circuit
des temps, · << une contemporanéité du non contemporain
>> (Reinhart Koselleck). Au Chiapas, tous
les cochons sont gris ! De ce gris que les groins européens
ont perdu depuis des siècles, et dont Michel Pastoureau a
dû faire teindre leurs descendants, engagés comme figurants
dans Le Nom de la rose … …..
Mais il n’existe nul jurassic Park du Moyen Age et tous
les exemples accumulés ne sauraient former au mieux
qu’une collection d’effets de médiévalité dont il y a tout

lieu de se méfier. Pas d’intelligibilité du Moyen Age au
présent donc ; tout juste quelques sensations comparatives
qui ne sont cependant pas à dédaigner. Celles-ci peuvent
être le point de départ d’une expérience d’altérité
qui, en nous distanciant de nos propres habitudes, fore
quelques minces ouvertures bien utiles dès lors qu’on
s’efforce d’entrevoir les réalité »‘s d’un monde aussi différent
du nôtre que le Moyen Age. Tout ce qui aide à se
déprendre des évidences de notre univers habituel est bon
à prendre et il n’est peut-être pas mauvais, pour un médiéviste
d’une génération sans attaches rurales, de se
confronter à des sociétés où modernité, pré modernité (et
postmodernité ?) s’entrelacent de manière singulière et
parfois créatrice.
Sensation sans doute illusoire d’un passé rendu palpable,
expérience d, altérité prédisposant peut-être à sa
compréhension, le détour américain est pour le moins
une prise de distance. Le point de vue change ; le regard
se modifie : cela peut être bénéfique. Outre-Atlantique, la A vision du Moyen Age a d’abord dû chercher comment se
faire synthétique. De fait, il me faut avouer ici que je
n’aurais jamais songé à rédiger un livre comme celui-ci, si
je n’avais dû d’abord présenter de manière aussi globale
que possible la période médiévale, lors d’un cours semestriel
donné aux étudiants de l’université du Chiapas.
Décalque amplifié de cet enseignement, ce livre a été écrit
à l’intention d’autres étudiants et lecteurs mexicains ou
latino-américains. Sollicité d’en donner une version française,
je n’ai procédé qu’à de minimes adaptations, lui gardant
les marques de sa genèse et de sa destination initiale.
Mais comment prétendre faire oeuvre de synthèse ? On
acceptera volontiers de tenir celle-ci pour une « ‘compilatian,
à l’image de nombreux écrits du Moyen Age. Loin
de notre moderne notion d’auteur, à laquelle s’attache la

revendication d’une singularité exhibée et d’une originalité
sans bornes, le compilateur médiéval s’enorgueillissait
d’emprunter l’essentiel de ses matériaux à d’illustres prédécesseurs
et sa plus grande fierté tenait à la fidélité qu’il
leur manifestait. L’oeuvre restait parfois anonyme, et son
succès se mesurait alors à l’autorité vénérable de l’auteur
qu’on lui prêtait (saint Augustin étant la récompense
d> une parfaite réussite). En d’autres siècles, on aurait été
tenté d’ôter tout nom d,auteur de la couverture du présent
livre. Mais si le régime moderne de l’auteur conduit
souvent à minimiser ses sources d’inspiration, le recours
médiéval aux figures d’autorité cache volontiers une intervention
personnelle plus importante qu’il n’y paraît. Sous
couvert de révérence affichée, le compilateur choisit ses
emprunts, les agence en fonction de ses propres objectifs,
les reformule parfois par glissements et déplacements successifs.
Placé sous le signe de l’hybride, le présent livre
court le risque de n’être ni fidèle ni original. En outre, on
reprochera immanquablement à une synthèse comme
celle-ci ses omissions, ses inévitables simplifications, ses
partis-pris. De fait, on avouera sans peine que bien des
aspects ont été insuffisamment pris en compte et que les
lacunes affectent nécessairement la vision d’ensemble.
Mais on peut soutenir aussi qu’un ouvrage qui ne trahirait
pas la complexité de son objet et qui – pour pousser à
l’extrême – prétendrait en rendre compte avec la même
fidélité que la fameuse carte à l’échelle 1 : 1 serait interminable
et finalement . . . sans objet. De manière sans doute
plus évidente encore que pour d’autres genres historiographiques,
il n’y a de construction synthétique envisageable
qu’à la condition de faire des choix et d’écarter volontairement
certains axes possibles. En un temps où la pensée
ambiante proclame la fin des grands modèles d’interprétation
et se complaît dans les métaphores de l’archipel et

de la fragmentation, la synthèse n’est guère de mise. Mais
nous sommes sans doute à l’orée d’un nouveau cycle et il
est significatif que Giovanni Levi, l’un des initiateurs de la
micro-histoire, ait récemment observé qu’un retour de
balancier était en marche et que l’urgence tenait désormais
à notre capacité à ressaisir des vues globales des phénomènes
macro-historiques. La réalisation d’une tache si
lourde n’est, peut-être pas à portée de main mais, s’il contribue
un tant soit peu aux efforts menés en ce sens, le présent
livre aura rempli ses objectifs.

Moyen Age et conquête du Nouveau Monde

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